Katherine Lortie
L’autrice signe ce texte au nom de ROSE du Nord, un collectif de femmes vivant en situation de pauvreté.Publié hier à 0h00
À la suite de plusieurs mois de consultations des groupes communautaires, vous avez promis, Madame la Ministre de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, une réforme modernisant la loi qui balise l’assistance sociale au Québec : la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles. Tant d’attente nous a rendues optimistes. Or, après avoir pris connaissance du projet de loi 71 déposé le 11 septembre dernier, nous voilà inquiètes. En effet, vous remaniez les éléments qui s’y trouvent déjà, sans grande amélioration
À notre grand désarroi, les problèmes de fond demeurent les mêmes : notre ultime filet social ne permet pas de couvrir les besoins essentiels et feint de rejoindre tous ceux et celles qui en ont besoin. Les femmes vivent d’ailleurs un recul majeur quant aux possibilités d’avoir accès à cette aide de dernier recours.
Familles monoparentales
Les chefs de famille monoparentale d’un enfant de moins de 5 ans peuvent actuellement avoir accès à une bonification de leur prestation d’aide sociale de 161 $ par mois, ce qui leur permet d’avoir une prestation annuelle de 13 177 $ au lieu de 11 245 $. Votre projet de loi prévoit de réduire l’âge admissible de l’enfant à 18 semaines après l’accouchement. Cela représente un recul majeur pour les 8882 mères et futures mères célibataires qui bénéficient de la contrainte temporaire à l’emploi en raison d’une grossesse ou d’un enfant de moins de 5 ans à charge.
Cela touchera également près de 491 pères pour la même catégorie. En pleine crise d’accès aux garderies, non, les parents d’enfants de 4 mois et demi ne seront pas en mesure d’entamer des démarches pour se trouver un emploi avec un enfant à la maison. Pour lutter contre la pauvreté, il faut couper dans les critères complexes d’admissibilité à l’assistance sociale, pas dans les mesures d’aide déjà en place.
Dépendance financière et violence conjugale
Comme vous le nommez, les couples à un seul revenu sont devenus l’exception, et les adultes tendent à être de plus en plus autonomes. Verser une seule prestation pour deux personnes d’un ménage place inévitablement une personne en situation de dépendance financière face à l’autre. Cela représente un facteur de risque majeur sur le plan des dynamiques de violence conjugale et complexifie les démarches des victimes pour s’en sortir.
Le projet de loi prévoit l’individualisation des prestations pour 2028 ! La lenteur de la mise en action nous inquiète. La violence conjugale est une problématique sérieuse. Pour moderniser la loi, chaque personne assistée sociale doit recevoir une prestation à son nom, sans devoir passer par le compte de son conjoint. De plus, si l’une des deux personnes du couple gagne plus de 1224 $ par mois, l’autre personne n’aura pas accès au Programme d’aide sociale ; elle est réputée être à la charge financière de l’autre.
Les femmes sont, encore de nos jours, celles qui réduisent leurs heures de travail, voire qui quittent leur emploi, pour prendre en charge les enfants et les tâches ménagères. Ce sont elles qui s’appauvrissent en premier pour soutenir le foyer, pour assurer les responsabilités familiales. Une réforme dite « moderne » de la loi doit répondre au déséquilibre qui persiste entre les rôles des différents membres d’un ménage.
Votre vision de l’indépendance financière moderne n’est pas à jour. Pour prévenir les situations toxiques liées à l’accès aux ressources dans les ménages, les prestations doivent être accordées selon la situation financière propre à chaque personne, sans tenir compte du revenu d’autrui.
Vie maritale
Cohabiter depuis plus de 12 mois, partager des tâches ménagères et avoir l’air d’être en couple aux yeux des voisins, voilà votre définition du couple moderne qui vous permet de couper les prestations d’aide financière, voire les rendre inaccessibles. Le statut de vie maritale empêche notamment les femmes vivant dans une dynamique de violence conjugale d’avoir accès à de maigres économies qui pourraient faciliter les démarches pour s’en sortir.
Le statut de vie maritale est archaïque et doit être aboli afin que l’aide soit accessible pour toute personne qui en a besoin. Le projet de loi 71, tel que présenté, n’est pas sans coût pour plusieurs, dont les femmes, car il renferme davantage d’obstacles rendant l’accès à l’aide plus difficile pour ces dernières. Madame la Ministre, on ne demande pas le ciel, on veut seulement couvrir nos besoins essentiels.