Réforme de l’aide sociale : aider à gauche pour couper à droite

Le projet de réforme de l’aide sociale menace de couper les primes pour les personnes temporairement incapables de travailler.

Par Francis Hébert-Bernier ● Nouvelles ● 2 octobre 2024

Photo : Capture d’écran Assemblée nationale, montage pivot.

Le projet de loi 71 qui vise à moderniser le programme d’assistance sociale du Québec risque d’avoir des effets très limités sur les taux de pauvreté au Québec, car il pénalise une partie des prestataires pour en accueillir d’autres, selon plusieurs observateurs.

Un des articles de la réforme du programme québécois d’assistance sociale déposée à l’Assemblée nationale par la ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau, viendra potentiellement réduire les prestations de milliers de personnes en situation de précarité, prévient le Collectif pour un Québec sans pauvreté.

En effet, l’article 25 du projet de loi 71 vient annuler les primes pour contraintes temporaires à l’emploi, qui bonifiaient de 161 $ par mois les prestations de certaines personnes que le gouvernement reconnaissait comme étant incapables de se chercher un emploi.

Selon les calculs du Collectif pour un Québec sans pauvreté, la prime permettait aux personnes y ayant droit de couvrir 54 % de leurs besoins de base, comparativement aux 46 % que la prestation de base permet de combler.

« Quand la notion a été introduite dans les années 1980, le but était d’aider les gens qui ont des problèmes médicaux temporaires. Tu te brises une jambe, tu ne peux pas travailler, on va te donner une prime. », explique Serge Petitclerc.

« C’est comme si on embarquait de nouvelles personnes dans le bateau, mais que pour leur faire de la place, on en jetait autant à l’eau. »Serge Petitclerc

« Mais avec le temps le concept a été élargi pour inclure plus de conditions », poursuit-il. Par exemple, les personnes ayant des enfants en situation de handicap, ou celles près de la retraite avaient droit à cette prestation.

Notons que les prestataires actuel·les de la prime ne la perdront pas : la coupe ne s’appliquera qu’aux personnes qui entreront dans le programme suivant l’adoption de la loi. La bonification sera également maintenue pour les femmes enceintes au-delà de leur 20e semaine de grossesse.

Une réforme à coût nul, vraiment?

« La ministre a eu la commande de son gouvernement de faire une réforme de l’aide sociale à coût nul. On ne peut pas lutter contre la pauvreté à coût nul, ça ne marche pas », remarque la porte-parole de Québec solidaire en matière de solidarité sociale, Christine Labrie.

La députée de l’opposition redoute aussi que les économies que compte faire la ministre avec la coupe des primes ne se manifestent pas dans la réalité.

« Il y a beaucoup de personnes qui auraient automatiquement eu droit à cette reconnaissance avant et qui devront maintenant aller vers des professionnels de la santé et des services sociaux pour avoir accès à d’autres types d’aide », remarque-t-elle. « Ça va engendrer de la paperasse, des délais, ça va nécessiter plus de fonctionnaires des ministères et ainsi générer des coûts. En plus, ça va dans le sens contraire des efforts d’allègement du gouvernement », poursuit-elle.

De plus, le gouvernement aurait facilement pu avoir plus d’impacts avec sa réforme sans engendrer de coûts supplémentaires, selon Désirée McGraw, porte-parole libérale en matière de solidarité sociale et d’action communautaire.

Il lui aurait suffi de revoir les dispositions de la loi qui retire une partie des allocations aux prestataires du programme de solidarité sociale qui touchent plus de 200 $ de revenus par mois. La députée a d’ailleurs déposé un projet de loi en ce sens en février dernier.

« On pourrait faire quelque chose de bon pour la société, l’économie et les personnes dans le besoin, sans avoir à débourser davantage. C’est rare qu’on ait d’aussi belles occasions, alors pourquoi la ministre n’a-t-elle pas été dans ce sens avec son projet de loi? », questionne-t-elle.

Une coupe qui annule les bons coups

Certains aspects de la réforme portée par le projet de loi 71 sont tout de même salués par l’opposition et les organismes communautaires. C’est notamment le cas des dispositions qui permettront à certain·es professionnel·les comme des travailleur·euses sociales et des psychologues de reconnaître des contraintes à l’emploi à des personnes pour des raisons non médicales.

Malgré ces améliorations, la réforme proposée risque tout de même d’avoir un effet très limité sur les niveaux de pauvreté dans la province, prévient Serge Petitclerc.

« C’est comme si on embarquait de nouvelles personnes dans le bateau, mais que pour leur faire de la place, on en jetait autant à l’eau. C’est vraiment dommage que les quelques avancées dont on pourrait se réjouir viennent au détriment d’autres personnes. »

Sollicité par Pivot, le cabinet de la ministre Chantal Rouleau n’a pas répondu à nos questions au moment de publier.

Correction: Une version précédente de cet article mentionnait que Désirée McGraw a déposé un projet de loi concernant le programme d’aide sociale alors qu’il sagit plutôt du programme de solidarité sociale. (2024-10-02)

https://pivot.quebec/2024/10/02/reforme-de-laide-sociale-aider-a-gauche-pour-couper-a-droite/

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