Lettre collective, par Audrey Hébert, porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales du Québec et 4 autres signataires*, publié dans le Soleil
La dématérialisation des services publics est une tendance lourde qui n’épargne pas les services d’assistance sociale. Le gouvernement vise notamment à réduire les services téléphoniques et au comptoir et à les remplacer par une gestion numérique, dépersonnalisée et automatisée. Cette intention, on la retrouve inscrite noir sur blanc dans le Plan directeur en ressources informationnelles 2018-2023 du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS).
Le gouvernement mise de plus en plus sur les services en ligne. C’est ce qu’on appelle le virage numérique. Il y a environ deux ans, le gouvernement a créé la plateforme «Mon dossier — Aide à l’emploi – Assistance sociale». Il invite depuis les personnes assistées sociales à s’y inscrire sur une base volontaire, mais il y a lieu de s’inquiéter qu’à plus ou moins long terme, son utilisation devienne obligatoire. Dans un tel scénario, la prestation de services et les communications ne se feraient plus que par cette plateforme.
Malheureusement, ce scénario n’est pas une lointaine fiction! En octobre dernier, le MTESS a envoyé un message à l’ensemble des personnes assistées sociales disant que les prestataires inscrit∙es à «Mon dossier» n’auraient plus accès, à partir de novembre 2022, à leur avis de dépôt et à leur carnet de réclamation autrement que par internet. Mais il s’agissait heureusement d’une fausse alerte… pour cette fois. Les agent·es ont reçu tellement d’appels de personnes inquiètes que le ministère a dû confirmer, sur les avis de dépôt de novembre, que les services au comptoir et par téléphone demeuraient disponibles.
Le gouvernement ignore-t-il vraiment que ce virage numérique serait particulièrement préjudiciable pour les personnes ayant recours aux services d’assistance sociale? Celles-ci sont plus susceptibles d’avoir des difficultés d’accès à un ordinateur et à une connexion Internet. Et encore faut-il être capable de naviguer dans l’univers numérique!
Gestion « décloisonnée »
Il est à prévoir que le virage numérique entrainera aussi ce qu’on appelle une gestion «décloisonnée» des dossiers. Plutôt que d’en prendre en charge un nombre donné, les agent∙es devront intervenir dans des milliers de dossiers, sans possibilité d’offrir un suivi plus étroit et s’inscrivant dans la durée. Dans les pays où une telle gestion a été implantée, on a pu observer une perte d’expertise chez les agent·es et, de façon concomitante, une hausse des erreurs dans les dossiers.
Automatisation de l’analyse et du traitement des dossiers
Si le processus de dématérialisation se poursuit, il y a lieu de craindre que, au bout du compte, des décisions seront prises par un système informatique. Ce processus d’automatisation déshumanisant est préoccupant, en raison des risques de décisions injustes basées sur une analyse simpliste, non circonstanciée, de la situation des personnes.
Ces processus d’automatisation ont aussi été observés dans d’autres pays, entre autres en Australie, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas. Plus près de nous, l’Ontario a implanté un tel système d’automatisation pour déterminer l’admissibilité et les droits aux prestations d’aide sociale. Ce cas est édifiant, car plusieurs erreurs d’analyse y ont effectivement été constatées.
Déni de droit
Le virage numérique que le gouvernement est en train d’opérer pourrait être fort préjudiciable pour les personnes assistées sociales, autant en ce qui concerne l’accès aux services que la gestion des dossiers. En bout de ligne, plusieurs pourraient se retrouver privées des services auxquels elles ont droit. Le gouvernement doit rajuster le tir. Il a la responsabilité d’assurer à toutes et à tous l’accès à des services de qualité.
Signataires :
Virginie Larivière, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté
Martine Fillion, présidente du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec
Audrey Hébert, porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales du Québec
Christian Daigle, président du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec
Boromir Vallée Dore, directeur général du Réseau SOLIDARITÉ Itinérance du Québec