Des compressions de 100 millions de dollars pour financer la réforme de l’aide sociale

Isabelle Porter à Québec

Publié 2 octobre 2024

La réforme de l’aide sociale de la ministre Chantal Rouleau est financée par l’abolition d’une allocation de 161 $ donnée à certaines catégories de parents et à des personnes âgées de 58 ans et plus.

Le 11 septembre dernier, la ministre Rouleau déposait le projet de loi 71, qui vise à rendre le régime d’assistance sociale « plus humain ».

La réforme passe notamment par un meilleur « accompagnement » des personnes ayant des problèmes de santé mentale et d’autres troubles psychosociaux.

Le projet de loi élargit aussi l’accès au programme Objectif Emploi, accorde de nouvelles primes aux personnes qui cherchent à terminer leurs études secondaires et réduit la pression sur les gens qui ont contracté des dettes à l’aide sociale.

Or, ces ajouts ont un coût : 97,06 millions de dollars d’ici 2030. Des sommes que l’État compte en bonne partie dégager en abolissant ce qu’on appelle « l’allocation pour contrainte temporaire à l’emploi [CTE] ».

L’allocation pour CTE est actuellement versée chaque mois à 47 841 personnes au Québec, selon des statistiques datant de décembre 2023. Ces prestataires reçoivent 161 $ par mois en plus de leur chèque d’aide sociale de 807 $.

Pour y avoir accès, il faut répondre à l’un des critères suivants : grossesse, problème de santé, enfant d’âge préscolaire à charge, enfant handicapé à charge, âge de 58 ans ou plus, attente d’une décision, proche aidant, responsable d’un foyer d’accueil ou d’une ressource de type familial.

De ce groupe, seules les personnes ayant un enfant de 5 ans ou moins à charge (7558) ou ayant 58 ans et plus (30 111) seront touchées par la compression, soit 37 669.

Pour les autres, comme les parents d’enfants handicapés, par exemple, l’allocation va être « remplacée » par une aide « équivalente » via d’autres enveloppes du programme. Le ministère prétend que cette façon de faire va « simplifier » le régime.

Droit acquis

En abolissant cette aide, l’État pense pouvoir économiser 99,7 millions de dollars sur cinq ans, selon le mémoire déposé par Mme Rouleau au Conseil des ministres, dont Le Devoir a obtenu copie.

Cela lui permet de dire que le projet de loi sera « financé à même les crédits du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale ».

Toutefois, les gens qui reçoivent déjà les 161 $ par mois pourront continuer d’y avoir accès tant qu’ils resteront sur l’aide sociale, le ministère ayant prévu une sorte de « droit acquis » pour eux.

Ce sont donc les prestataires potentiels qui n’y auront pas droit. C’est pourquoi le ministère pense pouvoir réaliser des économies croissantes chaque année, qui passeraient de 2,5 millions de dollars l’an prochain à 34,2 millions en 2029-2030.

Traditionnellement, l’allocation pour CTE constituait une sorte de régime transitoire entre l’aide sociale de base et le programme de solidarité sociale, qui est plus généreux parce qu’il s’adresse à des gens ayant des « contraintes sévères à l’emploi », comme une maladie grave ou un handicap les empêchant de travailler.

Pour justifier sa décision d’abolir l’allocation, le ministère dit vouloir mettre l’accent sur « les contraintes de santé » et favoriser le retour en emploi.

« Sur le dos des personnes les plus mal prises »

Le marché du travail a « évolué », a répondu le ministère dans un échange avec Le Devoir. Il « offre plus d’opportunité et de flexibilité que dans le passé » pour les personnes ayant ce qu’on appelle des « contraintes à l’emploi ».

L’État pense en outre qu’en abolissant le chèque de 161 $, il lui sera plus facile de les ramener vers le marché du travail.

Cette allocation, écrit le ministère, rendait les gens « inadmissibles » à d’autres programmes d’insertion à l’emploi.

Ces programmes donnent accès à des allocations plus « avantageuses » que les 161 $ et « dont le montant peut aller jusqu’à 475 $ par semaine », ajoute-t-il.

L’allocation pour CTE actuelle fait en sorte de « retenir » les gens dans les programmes d’assistance sociale, avance aussi le ministère.

Or, selon le Collectif pour un Québec sans pauvreté, c’est « inhumain ». « Que vise [la ministre] exactement ? Faire des économies de dizaines de millions de dollars sur le dos des personnes les plus mal prises de notre société ? » a-t-il dénoncé au lendemain du dépôt du projet de loi 71.

L’organisme souligne qu’en incluant les 161 $ supplémentaires par mois, le revenu disponible d’une personne sur l’aide sociale est de 13 177 $ par année, « de quoi couvrir 54 % de ses besoins », selon la mesure du panier de consommation de Statistique Canada.

Actuellement, 278 444 adultes et 58 671 enfants sont prestataires de l’aide sociale au Québec.

Article : https://www.ledevoir.com/societe/820939/compressions-100-millions-dollars-financer-projet-loi-rouleau

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