Jugement de la Cour supérieure dans un dossier « pauvre et captif » : Une occasion ratée pour rappeler que les prestataires d’aide sociale n’ont pas à choisir entre le minimum vital et leurs droits et libertés

Lettre collective publiée à Presse-toi à gauche!

Les conditions de vie des personnes prestataires d’aide sociale suscitent peu d’intérêt au Québec. Tant le gouvernement, le législateur, les tribunaux, que les médias et l’opinion publique semblent imperméables au fait que ces personnes sont maintenues dans l’extrême pauvreté par le régime d’aide sociale.

À ce titre, rappelons que la prestation pour les personnes sans contrainte à l’emploi est de 770$ par mois. Même bonifié par les crédits d’impôts, le revenu disponible de ces personnes, fortement impacté par l’inflation, correspond à environ 50% de la mesure du panier de consommation permettant de répondre aux besoins de base, c’est-à-dire se loger, manger, se vêtir et avoir une vie digne.

Comment expliquer que l’on accepte, collectivement, d’imposer cette précarité aux personnes prestataires d’aide sociale en sachant tous les coûts humains, sanitaires et économiques associés à la pauvreté ? Une possible réponse à cette question se trouve dans les mesures de contrôle des prestataires prévues dans le régime d’aide sociale. En nous faisant croire que ces personnes doivent être contrôlées pour éviter la « fraude » et pour empêcher que les « paresseux » ne « profitent » du système, ces mesures nous permettent de faire la paix avec les conditions de vie indignes que nous leur imposons. Elles sous-tendent un doute permanent quant à leur légitimité qui alimentent et confortent les préjugés.

Ces mesures de contrôle punissent notamment l’entraide, la vie maritale, les séjours hors Québec en imposant des sanctions qui réduisent, suspendent ou annulent les prestations déjà insuffisantes pour répondre aux besoins de base. L’aide sociale semble ainsi reposer sur un pacte indicible prévoyant qu’en échange de prestations qui permettent à peine de survivre, les prestataires perdent leurs droits à la liberté, à la vie privée, à la dignité, à l’égalité et à la sécurité. Or, les droits prévus dans les chartes des droits canadienne et québécoise protègent les personnes, y compris lorsqu’elles sont prestataires d’aide sociale, et s’imposent au législateur et au gouvernement chargé d’élaborer les règlements d’application de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles.

Plus précisément, aujourd’hui, c’est la règle qui garde « pauvre et captif » ( https://pauvreetcaptif.com/) au sein du régime d’aide sociale qui retient notre attention. Cette règle prévoit la fin de l’admissibilité à l’aide sociale en cas de séjour à l’extérieur du Québec de plus de 7 jours consécutifs. Elle a été mise en place en 2015 pour remplacer la précédente qui ne s’appliquait qu’en cas de séjour excédant un mois de calendrier. Régressive et attentatoire à la liberté et à la vie privée, cette règle est venue resserrer l’étau autour des prestataires d’aide sociale, sans aucune justification rationnelle. Elle a de plus des effets dévastateurs pour les personnes issues de l’immigration et leurs descendant.e.s. Ces dernières sont privées de la possibilité d’assumer leur responsabilité familiale, de visiter leurs proches, y compris dans des moments marquants de la vie, comme les naissances, les maladies, la vieillesse et les décès.

À l’occasion d’un recours en révision judiciaire déposé par une personne prestataire d’aide sociale ayant perdu son admissibilité au régime en raison d’un séjour à l’étranger de 2 semaines, au moment de la naissance de sa nièce, la Cour supérieure a été appelée à se prononcer sur ce pacte déraisonnable qu’impose l’État aux personnes prestataires d’aide sociale. Elle a rendu son jugement le 17 mai dernier dans lequel elle a maintenu la validité du régime. À cette occasion, la Cour a endossé sans réserve l’affirmation du tribunal administratif du Québec à l’effet que les droits économiques ne sont pas protégés par le Charte canadienne. Or, cette question est en suspens depuis la décision Irwin Toy rendue par la Cour suprême du Canada en 1989 et ces droits bénéficient d’un terreau fertile dans la Charte québécoise. Cette décision nous rappelle à quel point les juges sont prompts à évacuer les questions de droits quand il s’agit des prestataires d’aide sociale. Une autre occasion ratée pour rappeler au gouvernement que les personnes prestataires de l’aide sociale n’ont pas à choisir entre le minimum vital et la jouissance de leurs droits et libertés.

Signataires membres de la Communauté de recherche-action sur les droits économiques et sociaux (COMRADES)

Camille Bétencourt, candidate au doctorat, faculté de droit, Université Laval
Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ)
Martin Gallié, professeur, département des sciences juridiques, UQÀM
Valérie Kelly, candidate au doctorat, faculté de droit, Université Laval, coordonnatrice de la Communauté de recherche-action sur les droits économiques et sociaux (COMRADES)
Annick Provencher, professeure, faculté de droit, Université de Montréal
Mirja Trilsch, professeure, département des sciences juridiques, UQÀM, directrice de la Clinique internationale de défense des droits humains (CIDDHU)
Christine Vézina, faculté de droit, Université Laval, chercheure principale de la Communauté de recherche-action sur les droits économiques et sociaux (COMRADES)

Autres signataires

Janie Houle, Professeure titulaire, Département de psychologie de l’UQAM, Titulaire de la Chaire de recherche sur la réduction des inégalités sociales de santé
Vivian Labrie, chercheure autonome
Amélie Maugère, Professeure, École de travail social, Université de Montréal
Laurie Paquin, B.T.S, Étudiante à la maîtrise sur mesure Inclusion et participation sociale
Stéphane Proulx, avocat
Bernard St-Jacques, directeur général, Clinique Droits Devant
Anne Thibault, Avocate-coordonnatrice, Clinique interdisciplinaire en droit social de l’Outaouais (CIDSO) et candidate à la maîtrise en droit, Université d’Ottawa
Mireille Tremblay, professeure et chercheure au Département de communication sociale et publique de l’UQAM
Yann Tremblay-Marcotte, professionnel de recherche, Université de Montréal

Signataires de l’Observatoire des profilages

Alexandra Bahary-Dionne, candidate au doctorat et chargée de cours en droit, Section de droit civil, Université d’Ottawa
Céline Bellot, professeure, École de travail social, Université de Montréal
Catherine Chesnay, professeure, École de travail social, UQÀM
Marilyn Coupienne, avocate et candidate au doctorat en droit, Section de droit civil, Université d’Ottawa
Pascale Dufour, professeure, Département de science politique, Université de Montréal
Mélissa Durimel, étudiante à la maîtrise, département de criminologie, Université d’Ottawa
Félix Généreux-Marotte, étudiant au baccalauréat, département des sciences juridiques, UQÀM
Izara Gilbert, étudiante à la maîtrise, École de travail social, UQÀM
Yannick Gingras, étudiant à la maîtrise, Département de philosophie, UQÀM
Stéphanie Houde, professionnelle de recherche, Observatoire des profilages
Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
Dahlia Namian, professeure, École de travail social, Université d’Ottawa, chercheure associée à la Clinique Interdisciplinaire en droit social de l’Outaouais
Isabelle Raffestin, doctorante, École de travail social, Université de Montréal

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